Je sais pas vous, mais moi j'ai l'impression de passer le plus clair de mon temps à muer. Au début j'ai pensé qu'une fois la puberté passée, on avait une peau de grand et hop, on était parti pour la grande vie! Ben non: à l'heure actuelle je pourrais remplir un dressing avec toutes les vieilles peaux que j'ai laissées derrière moi, que dis-je, je pourrais carrément ouvrir un magasin...
Je suis bien dans ma vie, je commence à peine à m'habituer à ma nouvelle peau en date, à oublier ce que ça m'a coûté de lâcher la précédente et paf: je me mets à me sentir comprimée, comme si tous mes vêtements devenaient trop petits les uns après les autres, jusqu'au jour où, si je traîne trop, plus rien ne me va... sans que je sache vraiment pourquoi.
Les animaux, quand ils muent, perdent leurs plumes, leurs bois, leur peau, leurs poils... c'est programmé, plus ou moins rapide, pareil pour tous, et ça n’a pas l'air douloureux: simplement bizarre. Alors que chez nous, c'est comme si ça pouvait s'attaquer à toutes les dimensions de l'être, sans règle aucune.
Pas de timing ni de nombre de mues établi pour toujours... Chacun son style... Y a celles qui se font toutes seules, on ne s'en rend même pas compte, rien à faire; celles qu'on ne fera jamais, parce qu'on n'en a pas besoin; et puis celles qui demandent plus d'attention, de soin, d'écoute, d'action, comme pour aider la peau à tomber, éviter qu'elle ne s'accroche et pèse, parce qu'il y a des peaux qui collent, plus que d'autres, à la peau justement.
Et si la danse était, elle aussi, une sorte de mue permanente où chaque mouvement, laissant la place au suivant, nous entraînerait à la grande mue qu'est la vie, à accompagner les vieilles peaux dans leur chute: utiliser toutes les articulations, les muscles, les membres, en contact avec le sol, avec l'air, avec les autres membres, pour étirer, secouer, remuer, avancer, et donner forme à une nouvelle peau, à la bonne taille, dans laquelle on est pleinement libre de nos mouvements, capable d'évoluer, de suivre de nouveaux possibles...
Et si la danse pouvait rendre nos mues jouissives?
Alors, on danse?