Quand j'étais plus jeune, j'avais un grand oncle avec qui faire un trajet en voiture prenait le double du temps prévu: il ne cessait de s'arrêter pour regarder une pierre, un arbre, une fleur... Il était de ceux qui considèrent que pour aller d'un point A à un point B, il y a bien mieux à faire que suivre la route la plus courte.
Un jour, alors qu'il me racontait une de ces histoires venues d'un autre temps, il m'a parlé d'un ouvrier italien qui travaillait avec lui aux champs et répondait toujours, quand on lui disait comment faire :
"Ne me donne pas de conseil, je suis assez grand pour me planter tout seul".
J'ai immédiatement adopté cette phrase. Pas pour sa première partie, car je suis friande de conseils avisés, mais pour la seconde. Sous ses allures antinomiques, elle érige l'erreur en réussite, et ce faisant, ouvre les portes du labyrinthe de la réalité, dit aussi infini des possibles, ou jardin des sentiers qui bifurquent, pour Jorge Luis Borges.
Et si pour être soi, on avait le droit de se perdre? D'aller du point A au point B en prenant des sentiers qui s'ouvrent partout, à chaque instant, et évoluent au fil du temps? Et par la même occasion, s'autoriser la marge nécessaire à l'erreur, celle qui crée les failles où se glissent la lumière, l'âme, la créativité: cette chose aux mille noms qui n'est autre que la justesse de l'expression de notre Être?
Et si la danse nous permettait d'entrer les yeux ouverts dans le royaume des sentiers qui bifurquent, rendant perceptibles les chemins qui dansent en filigrane autour de nous? Et si la danse prenait la place de la paralysie lorsque, face à un embranchement, on se prend à croire qu'il existe une bonne voie, aveugles que nous sommes à tous les interstices? A la danse des sentiers mouvants?
Alors, on danse?